Recevoir un auteur

Pas d’éducation sans culture

Persuadés qu’il n’existe pas d’éducation sans culture, les fondateurs de l’association REEL invitaient les premiers auteurs dès 1988. Au-delà de l’incomparable motivation à lire, préparer la visite d’un auteur c’est, pour les élèves, apprendre à connaître celui-ci, entrer dans un univers créatif original, le rapprocher d’autres univers, d’autres formes d’art, en un véritable parcours culturel. Attendre un auteur c’est la promesse d’une fête.
Le Salon du Livre Jeunesse, né de la curiosité réciproque et des rencontres chaleureuses, aura 27 ans en mai-juin 2023, plus de 300 auteurs différents ont été invités, réinvités depuis la création de REEL.

Recevoir un auteur

Il y a quelques années à la demande des adhérents, fut élaborée une fiche (la commande était «une page ! »), nommée : Recevoir un auteur. Il s’agissait de présenter de manière synthétique – ô combien ! – quelques démarches de lecture à conduire en préalable à toute rencontre. Nous remettons cette fiche à jour, élargissant le niveau de l’étude qui était alors à la base de la demande.

La perspective de rencontrer un auteur est une indiscutable motivation à lire, imaginer, réfléchir… et l’occasion d’acquérir des compétences… La communication lecteurs / auteur ne peut guère s’établir – à plus forte raison si on commence une correspondance avant la venue de l’auteur – qu’à partir des lectures préalables de l’oeuvre, des interprétations rendues visibles par les créations suscitées. De véritables débats peuvent alors s’engager, sur les réactions des lecteurs sur les personnages, les situations … les choix effectués par l’auteur. Et peut-on souhaiter meilleur interlocuteur que ce dernier ? Présentation et lecture d’un choix d’ouvrages de l’auteur invité, étude approfondie d’un livre, nous paraissent indispensables – parce que complémentaires, dans l’ordre que l’on voudra.

Grandes étapes qui interfèrent

L’aide de l’adulte, dans l’amorce de ce projet est essentielle.

Hypothèses, attentes, fondées sur l’expérience de chacun au contact :
– de « l’objet livre » (format, support, reliure, pagination…),
– des indices de première et quatrième de couverture (illustrant et informations écrites du titre au nom de l’auteur…).
– Utiliser : le cache, avec fenêtre(s), agrandi progressivement ou « promené » sur l’image, un morceau de titre, le feuilletage (aperçus sur l’illustration, la mise en page, les caractères, la « forme » de l’écrit (journal, poèmes…)
– S’agissant de l’album, en particulier : hypothèses sur la technique d’illustration.
– Et dans tous les cas : le rapport image-texte (personnage, objet, couleur et titre…)

D’examen attentif d’un seul ouvrage, l’entrée peut devenir jeu avec un ensemble de titres :
– Jeu de la page « arrachée » : retrouver à quel livre appartient telle ou telle page, ou fragment de texte, d’illustration.
– Livres à plat, ou quatrième de couverture masquée, mise en relation première de couverture et
quatrième (photocopiées).
– Jeux sur les titres (ceux qui sont construits de la même manière, ceux qui contiennent le nom, le caractère supposé d’un personnage, ceux ou l’on comprend que le narrateur est dans l’histoire…).
– Qui sont les héros (une majorité de filles, de garçons) ?
– Grande carte des lieux évoqués.
– Perçoit-on les problèmes posés ? Peut-on les classer ?

Le lecteur mobilisera ses connaissances et réinvestira les compétences déjà acquises pour comprendre et avancer dans l’histoire, nécessitera de nouvelles amorces et un suivi (selon les IO de 2003, à mener en une ou deux semaines).

– Lecture du début du roman (lieu, personnages en présence, problème) fait imaginer la suite.
– Lecture attentive de la première page : perception de « l’univers » du roman (lieux, personnages, temps de l’histoire, mais aussi, place du narrateur).
– La lecture des images s’opère de la même façon : qui et que voit-on ? Où ? De quel point de vue ? Que comprenons-nous ? Et, page après page, quelles hypothèses faisons-nous sur la page suivante ? …
Pour le suivi de la lecture, chaque intervention a valeur de nouvelle amorce pour les plus réfractaires, on se reportera ici à la page 6 du document Littérature au cycle 3, 2002 : le maître dispose de quatre instruments pour parcourir le texte : la lecture qu’il peut lui-même en faire à haute voix, la lecture silencieuse des élèves, le résumé partiel qu’il élabore et qu’il peut lire ou donner à lire en lecture silencieuse, la lecture à voix haute des élèves… Ajoutons que la lecture personnelle est hautement à encourager. Tout élève qui souhaitera poursuivre la lecture seul, doit pouvoir emprunter le livre, l’emporter chez lui… L’ensemble de la classe sera raccroché au fil de l’histoire, si l’on trouve ensemble une manière de fixer les informations, ou les remarques (tableaux simples ou à double entrée, schémas, frise chronologique…) concernant l’organisation globale du récit :
. les différents moments, ou unité de sens de l’histoire,
. les personnages, leur entrée en scène,
. les repères spatio-temporels.

Le but est ici de dépasser ce que le texte – ou l’image – « dit » pour voir « comment » il – ou elle – le dit.
Cela sans attendre le collège ou le lycée. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas d’age pour le plaisir du texte (et non seulement de l’histoire). La réflexion sur la langue peut, nous semble-t-il, commencer très tôt dès les premiers apprentissages, à la condition de passer par le faire et le jeu, avec les outils propres à l’age considéré. A tous les niveaux il est possible d’étudier comment La Fontaine nous fait comprendre, bien avant le dénouement, que le corbeau va être joué…
L’étude permet :
– de mettre les lecteurs d’accord sur le sens, chacun lisant à partir de son expérience les interprétations divergent parfois ;
– d’aller plus loin que l’apparence (un texte peut paraître mal écrit, un dessin maladroit), de dépasser la limpidité première, en bref : de réfléchir, se poser des questions, percevoir que dans la littérature, comme dans l’illustration, il n’y a pas que des idées.
L’étude est motivée par le besoin et le plaisir, d’agir, d’imaginer, de créer, à partir d’une émotion, d’une interrogation provoquées par la lecture. Ce besoin d’agir donne ainsi l’occasion d’acquérir des compétences dans la maîtrise du langage oral, écrit et permet d’acquérir une culture.

 

 

Plusieurs types d’activités à conduire :

Au niveau du texte

a) En ateliers de lecture souvent pour une première page, pour des passages clés, la préparation d’une lecture à haute voix, un point de compréhension à élucider génèrent, au-delà des questions – qui s’exprime ? Où ? Quand ? Pourquoi ? A quel moment du récit ?

– des relectures sous formes diverses :
– des lectures presque mathématiques crayon en main,
– des jeux (puzzles, textes lacunaires) proposés par l’enseignant, ou à réaliser pour d’autres, avec repérages, selon les cas :
. de notions (champs lexicaux, marqueurs d’espaces, de temps, substituts du nom…) qui assurent la progression tout en créant, dès une première page, l’atmosphère du roman… et donneront envie d’aller plus loin.
. De différentes séquences textuelles (narration/description/dialogues…)
. Des situations de discours ou de récit, de l’utilisation des temps verbaux et des modes… avec, bien sûr, les remarques qui s’imposent quant aux effets produits… Le tout, quelle que soit l’organisation de la recherche, mis au point collectivement.

b) En ateliers d’écriture

Ce « bricolage » sur les textes est renforcé, ou motivé, par les réécritures qui, de manière ludique, font entrer, implicitement, dans le fonctionnement du texte.
– Inventer début, fin d’un passage, ou de l’histoire, écrire dans les « blancs » (rajouter un dialogue, un monologue intérieur, un événement…) raconter un événement du point de vue de différents protagonistes, en changeant de narrateur, passer du discours au récit (ou faire l’inverse), réécrire à la manière de… changer de genre, faire pratiquer l’expansion, la réduction d’un passage… remplacer une image par une description…
Voir, en cas de besoin, comment l’écrivain s’est sorti de tel ou tel problème d’écriture (idem pour le dessin ou la peinture).

Au niveau de l’illustration

a) Les ateliers de relectures dépasseront le stade de la simple dénotation (« je vois / je comprends ») – ne serait-ce que pour justifier les hypothèses, l’interprétation de chacun : « Qu’est-ce qui me permet de comprendre que… » Sollicitation de l’imagination, comme en lecture de texte, ce qui n’est pas montré mais que l’on se représente à partir de sa connaissance du monde. Ces travaux en ateliers font appel à des techniques – tableaux, schémas, utilisation du calque, de fenêtres, report de traits et de lignes… qui concernent :

– La place faite à l’image dans le livre, dans la page,
. l’espace qui lui est accordé (page entière, double page, occupe-t-elle toute la page, est-elle limitée dans un cadre…)
. sa disposition dans la page (est-elle répétitive, page de gauche ou de droite, en haut de, sous le texte…)
. sa relation spatiale au texte (séparée, intégrant du texte, avec quels effets graphiques…)
– L’observation de techniques en rapport avec la photographie :
. Le point de vue où est placé le lecteur (en plongée, contre-plongée, horizontal.
Comment est « vu » un personnage : de face, de dos, de trois-quart, mobile / immobile…).
. Le cadrage, le fragment d’espace découpé par le cadre, le champ (ce qui est vu) et ce qui est suggéré / deviné par le hors champ : à partir d’objets fractionnés, des lignes de fuite, de la direction des regards, du mouvement des personnages, portes ouvertes,
fenêtres, miroirs, ombres…
. La profondeur du champ (1er, 2ème plan…)
. L’échelle de l’image, du gros / très gros plan au plan d’ensemble…

– Des techniques relevant plus particulièrement des arts plastiques :
. Le dessin, la forme et le graphisme, l’utilisation de la ligne et du trait (pour cerner une forme, ou pour eux-mêmes – épaisseur du trait, direction des lignes…)
. L’utilisation de la couleur, avec ses effets de réel et ses différentes valeurs symboliques (contrastes, couleurs chaudes / froides, complémentaires, lumineuses / ternes, effets de clair / obscur, la quantité…).
. Les matériaux (craie, gouache, encres…) les techniques afférentes (aplats, lavis…) et les supports utilisés.
– Le rapport de l’image et du texte :
. Est-ce qu’ils se répètent ?
. Est-ce que l’un complète, ou ajoute à l’autre ?
. Est-ce qu’ils ne disent pas la même chose ? C’est un cas très intéressant, plus rare que les deux premiers, mais évidemment très significatif et riche d’enseignement (chez Gérard Moncomble, par exemple, dans le Grand Safari ou la série Raoul Taffin, l’écart image texte est, en soi, une métaphore filée).

b) Des ateliers de « fabrication » motiveront, comme pour le texte, ces études et l’acquisition de notions et de savoir-faire. Quelques suggestions :

– A partir de grandes lignes de composition prises avec un calque, ou d’après une projection diapo, reportées sur un support dont le format, la nature est laissée au choix des enfants et remplissage des espaces avec la technique de son choix (peinture / craie, collages, aplats / reliefs…
– A partir de fragments collés sur feuille blanche, prolongation des lignes, des espaces colorés, toujours avec les outils et couleurs qui paraissent le plus appropriés…
– Placer un personnage dans un autre environnement.
– Changer les couleurs.
– Créer à la manière de… réutiliser les techniques remarquées (collages, couleurs chaudes / froides, gravure, réutilisation du trait fréquent chez un auteur (exemple : encres au pinceau chez Zaü, notamment le trait noir), utilisation des pastels gras (Didier Jean et Zad, Zaü, Alex Godard), de la gravure (May Angeli), de pratiquement toutes les techniques chez Thierry Dedieu, Régis Lejonc…

Celles-ci interviennent à tous les niveaux et concernent la culture.

Elles concernent le lien établi par la mémoire, la culture de chacun et aussi la recherche :
– Entre les livres d’un même auteur, d’autres auteurs (sur le même thème, le même genre…) Thèmes récurrents, techniques d’illustration, d’écriture… Tout ce qui constitue un style et permet de reconnaître le livre d’un auteur parmi bien d’autres.
– Entre les productions d’auteurs différents et se rapportant à un thème concernant : les personnages (le loup, la poule, le cochon… mais aussi les pères, les mères, les grands-parents, l’ami…), les rapports entre les personnes, un sentiment, une couleur, un objet…
– Entre un auteur et les oeuvres du patrimoine littéraire et artistique.
– Entre les textes, les images et d’autres formes d’expression artistique (musique, danse, architecture, sculpture…)
Il s’agit ici d’une mise en commun de la culture de chacun et de la construction d’une culture commune, de l’enrichissement personnel et de l’aptitude à « vivre ensemble ».

De toutes ces lectures, de l’action sur les textes et les images, de l’émotion, de la vie imaginative, naissent des réalisations faisant appel à la créativité et c’est sur ce terrain que s’effectuera une rencontre gratifiante avec un auteur, quel qu’il soit.

Rencontrer un auteur, ce n’est pas préparer un questionnaire, attendre de l’illustrateur qu’il exécute un dessin, de l’écrivain qu’il conduise un rapide jeu d’écriture. Du moins, pas seulement. Les questions naîtrons spontanément, l’illustrateur, l’écrivain, le poète donneront spontanément quelque chose si la rencontre préalable avec les œuvres a été menée en fonction des besoins et
des réactions des jeunes lecteurs, et a suscité un désir d’imaginer et de faire.

Ces activités créatrices naissant de la vie de la classe et de la vie donnée au livre. Elles se situent au niveau de l’interprétation, de la transposition. Elles touchent à ce qui se passe dans les esprits quand la lecture est terminée.
Elles sont faites aussi pour être communiquées (l’auteur n’est pas forcément le seul public visé).
Elles concernent :
– Les projets d’écriture :
. Poésie, écriture de contes, de nouvelles…
. Les écritures « en marge » évoquées plus haut sont de bons déclencheurs. Nous nous souvenons d’une suite du Joueur de flûte de  Hamelin, d’une enfance de Don Quichotte, d’un chapitre « égaré » d’Alice au pays des merveilles, très réussis… de monologues
intérieurs… Toutes écritures qui mettent un personnage dans une situation nouvelle dans l’univers de l’original, ou dans une situation incongrue. La rencontre de personnages appartenant à divers livres, d’un même auteur… ou rencontrant un personnage de conte, par exemple très connu…
. Tenue d’une chronique littéraire dans le journal de l’école, local.
. Ecriture de synopsis, de règles de jeux concernant mises en voix, en scène, ou mise en jeu des livres lus.
– La mise en voix, le corps, la langue orale :
. Mise en voix des ouvrages pour une présentation, accompagnée ou non de supports visuels, à un public autre que celui de la classe (préfiguration des soirées lectures, poésie…).
. Dire ses coups de coeurs.
– La transposition théâtrale avec tout ce que cela suppose au niveau du choix des personnages, de la mise en espace, du travail sur l’éclairage, le son… Mais aussi le théâtre de marionnettes, le théâtre d’ombres souvent inspiré de l’illustration…
– Tout ce qui touche aux arts plastiques, du dessin à la sculpture :
. Toute transposition en images, peintures, romans photos, fresques, montages diapos…
. Les réalisations en volume peuvent symboliser une « lecture » de tel ou tel livre, de l’ensemble des livres d’un auteur, de nouvelles lectures, d’un même auteur, d’autres auteurs (sur le même thème, le même genre…)
. L’exposition (qui fait aussi appel à un type d’écrit).
. Les transpositions en jeux de société. Faire entrer un auteur dans un jeu de l’oie, des mots croisés géants, créés à partir de ses livres, ne manque pas de sel… et constitue un excellent objet à réutiliser pour d’autres classes. Les jeux de piste où l’ont fait prendre à l’auteur la place de l’un de ses héros…
– Tout ce qui touche à toute forme d’expression artistique : danse, musique…
– Tout ce qui tourne autour de la convivialité :
. Goûter ou repas préparé d’après des recettes rencontrées dans les lectures.
. Faire entrer un auteur dans le jeu (voir plus haut).